Petit frère du tennis
de table, sport olympique depuis 1988, le ping pong fait son retour
sous une forme sociale, festive et créative. Les pionniers du
phénomène se sont retrouvés en octobre dernier à Bristol lors du
Pongress, le 3ème festival international de ping pong.
Tennis de table et ping
pong ne sont pas exactement synonymes. Chaque terme a ses partisans
et désigne une approche différente d'un même sport : « Le
tennis de table est chapeauté par une fédération internationale
et se pratique généralement dans un gymnase. Les règles sont les
mêmes partout dans le monde. Le ping pong est très flexible, ses
règles sont définies par les joueurs et il peut se pratiquer dans
une grande variété de lieux et impliquer autant de personnes que
possible », précise Andy, 31 ans, co-fondateur de
l'Association Anglaise de Ping Pong.
Nix, 37 ans, est la
coordinatrice de Kings of Ping, un
groupe qui organise régulièrement des tournois de ping pong dans la
région de Bristol, la grande ville de l'Ouest de l'Angleterre. Elle
habite dans une petite maison mitoyenne du quartier d'Easton. Au fond
de son jardin trône une table de ping pong posée sous un abris en
bois pour jouer été comme hiver. C'est le grand jour, Nix est un
peu stressée, ce vendredi soir aura lieu le lancement du Pongress.
Après Berlin en 2010 et Newcastle en 2012, Bristol accueille le
grand rassemblement des passionnés du tennis de table festif et
social. Le ping pong nouvelle génération a trouvé un terreau
fertile dans cette ville très artistique. De nombreux pubs ont
acquis une ou plusieurs tables et les Kings of Ping incarnent
la touche d'excentricité et de créativité propre à Bristol.
Avec une poignée de
pongistes dévoués et un budget très limité, Nix prépare depuis
plusieurs mois un festival d'une semaine dédié au sport né en
Angleterre à la fin du XIXème siècle. Le ping pong est
entré dans sa vie par hasard, voici un peu plus de cinq ans :
« J'avais joué une ou deux fois en Allemagne quand j'étais
adolescente, c'est tout ! Durant l'été 2008, John, un ami au
chômage, a confectionné une table à partir de planches de bois et
j'ai commencé à jouer régulièrement ». Elle organise pour
le départ de John en Nouvelle-Zélande une soirée d'adieu avec
déguisements et parties de ping pong. Le directeur d'un festival
local passe par là et, séduit par l'atmosphère, lui propose
d'organiser un tournoi en marge des concerts.
« C'est une
blague ? », rétorque alors Nix qui ne connaît même pas
les règles officielles du tennis de table. Avec des amis, elle
organise un tournoi accompagné d'un premier spectacle pour l'édition
2009 du festival. Elle a trouvé son credo, c'est le début des Kings
of Ping : « Les garçons étaient assez réticents à
me laisser peindre les tables en rouge. Maintenant je réfléchirais
à deux fois avant de le faire mais, à l'époque, le style était
plus important, le Bling Pong ! » Couleurs doré et rouge,
tenues extravagantes, danses aléatoirement chorégraphiées, amour
du strass, des paillettes et des petites balles
en celluloïd caractérisent ces passionnés du ping pong à la sauce
bling bling. « Je suis devenue assez obsédée par le
ping pong », reconnaît Nix qui possède huit tables.
Non loin de chez Nix, les
bénévoles s’affairent dans l'espace communautaire All Hallows
(la Toussaint), le nom du lieu
fait référence à sa fonction première de salle paroissiale. La
large scène pouvait accueillir un choeur ou un petit orchestre. Elle
est désormais cernée par de larges enceintes, en retrait est
disposée la table où le DJ passera des disques pendant toute la
soirée. « Je pensais que le Pongress serait une grande
conférence pour débattre du futur du tennis de table social,
affirme Paul, 58 ans, mais en réalité c'est une série de fêtes et
c'est mieux ainsi ! » Crane rasé et lunettes
rectangulaires, Paul peint le mur de la pièce située sous la scène
avec de la peinture fluo. Sculpteur et écrivain, il aménage avec
dévouement le clou de cette première soirée consacrée au ping
pong du futur : plongée dans l'obscurité, seuls les bords de
la table marqués par des bandes fluorescentes seront visibles grâce
à un éclairage UV. « On va aussi coloriser les balles avec de
la peinture UV », déclare Paul qui déplore de ne pas avoir eu
assez de temps pour décorer toute la salle.
Quelques heures plus
tard, la salle vibre au son de la musique techno. Une raquette dans
une main et un gobelet de bière dans l'autre, les participants se
rassemblent autour des tables pour faire des tournantes, ces parties
où les joueurs se déplacent autour de la table et sont éliminé au
fur et à mesure. Déguisé en Spock de Star Trek, Neil, 38 ans,
supervise la fête. Quatre soirs par semaine, il s'occupe des soirées
ping pong à All Hallows et dans un bar du centre-ville :
« Quand tu rentres dans une soirée ping pong, il y a de la
musique, ce qui est une grande différence avec les clubs.
L'atmosphère est conviviale, on encourage tout le monde à jouer,
c'est très inclusif ». Pour ce DJ et ingénieur du son, le
tennis de table est un sport à part, « innocent », qui
permet à des personnes de tous les âges, toutes les morphologies et
tous les milieux sociaux de jouer ensemble et de faire connaissance.
Une coupe géante et
tordue est posée au bord de la scène, le trophée attend le
vainqueur d'un tournoi un peu spécial qui se dispute avec une
raquette en bois, comme au début du XXème siècle. Paul explique :
« La raquette en bois permet d'aplanir les différences de
niveau, comme cela personne ne se sent exclu. C'est l'esprit du ping
pong ! » Chaque participant paie une livre et les matchs
s'enchaînent crescendo jusqu'à la finale qui aura lieu vers 2h du
matin.
Le lendemain, samedi, Nix
enfourche son vélo pour faire découvrir aux participants du
Pongress cinq table disposées dans les parcs et les espaces publics
de Bristol. La cité bâtie sur les rives de l'Avon est verdoyante et
vallonnée, ses nombreuses maisons colorées donnent un cachet aux
quartiers résidentiels. Certaines de ces tables ont été installées
par le programme Ping! :« En
2010, deux ans avant les Jeux Olympiques, l'organisation artistique
Sing London
spécialisée dans les projets artistiques participatifs a placé une
centaine des tables dans les endroits les plus emblématiques de
Londres», raconte Andy, un des responsables du projet qui a essaimé
dans une douzaine de villes anglaises. Dans les quartiers où elles
sont implantées, les tables permettent de renforcer le lien social.
A
Bristol,
le Bear Pit
(la fosse aux ours) situé au milieu d'un grand rond point était un
endroit mal fréquenté : « Les gens du quartier se sont
rassemblés pour réaménager ce lieu, rapporte Nix avec fierté, et
tout le monde s'est cotisé pour acheter une table de ping pong.
Kings of Ping
a donné 100 livres et la mairie a seulement financé le revêtement
en goudron sous la table ». Des petites échoppes se sont
ouvertes à côté et les commerçants gardent un œil sur la table.
Le
tour de vélo se termine au centre culturel et communautaire Hamilton
House
où se tient, dans le cadre du Pongress, une exposition dédiée aux
héros du ping pong. Une vingtaine de personnalités célèbres ou
anonymes qui ont contribué au rayonnement du jeu sont croquées par
l'artiste londonien Nick Jobbings. Dans cette galerie de portraits,
l'actrice américaine Susan Sarandon et le champion suédois Jan Ove
Waldner côtoient Neil, Nix et aussi Toby, 40 ans, originaire de
Newcastle.
Grand aux cheveux bruns,
ce passionné de tennis de table est l'instigateur du Pongress. Il
organise depuis 7 ans une soirée ping pong à Newcastle : « En
2005, je suis allé à Berlin pour l'anniversaire d'un ami. Dans un
guide j'ai vu le bar Dr Pong. J'étais assez doué en ping pong dans
mon enfance, j'ai voulu aller voir. Une fois dans le bar, nous avons
passé une soirée magnifique. J'ai apprécié l'atmosphère
conviviale et la bonne musique. Je me suis dit que je devais recréer
cela. » Il importe donc dans son pub favori la recette qui a
fait le succès du bar berlinois depuis 2002 : « Les
soirées basées autour des tournantes rassemblent tout le monde, les
gens se parlent les uns les autres, il naît une forme de sociabilité
qui n'existait pas auparavant. Voilà le génie de Dr Pong ! »
Du
petit bar situé dans le quartier Prenzlauer Berg de Berlin, les
soirées ping pong ont essaimé dans les pays scandinaves, en
Amérique du Nord, en France et en Suisse.
« Ces deux ou trois dernières années, le ping pong a explosé
dans toute l'Angleterre, s'enthousiasme Neil, l'aspect social attire
beaucoup de jeunes ».